Chapitre 2. L'ère des pionniers

Table des matières

1. Les “bombes” analytiques
2. Le dieu des victoires
3. L'architecture de von Neumann
4. La première génération d'ordinateurs
Bibliographie

Nous appelons « ère des pionniers » les temps des tout premiers ordinateurs, qui seront d'abord construits à l'occasion de la seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide qui s'ensuit. Cette période couvre, grossièrement, la seconde moitié des années 1940 et les années 1950.

1. Les “bombes” analytiques

L'histoire de l'informatique théorique (la logique) et celle des technologies de calcul qui lui donneront corps se rejoignent à l'occasion de la seconde Guerre mondiale, au Royaume Uni et aux États-Unis d'Amérique.

Contrairement à la première Guerre mondiale, guerre de positions et de confrontations étendues et durables, la Seconde guerre mondiale est marquée par les techniques de communication et de transport. C'est éminemment une guerre d'actions et de mouvements. Ceci sera déterminant dans l'avènement de l'informatique.

Qui dit actions et mouvements dit ordres d'actions et de mouvement… donc cryptage des communications. Le premier volet de l'aventure commence peu avant la guerre proprement dite, en 1931 : l'Europe sentait déjà poindre la menace de l'Allemagne nazi. Celle-ci utilisait alors un système mécanisé de cryptage, appelé enigma, dont le chiffre (le code) changeait chaque jour. Une équipe polonaise de cryptanalyse, grâce à l'espionnage et aux mathématiques, réussit à en comprendre le fonctionnement et finalement à produire en 1934 des machines, appelées « bombes », testant systématiquement de nombreuses combinaisons enigma. Il s'agissait de sorte de calculateurs spécialisés, entièrement mécaniques. Le dispositif passa en Angleterre après la chute de la Pologne et donna lieu à la création d'un centre de cryptanalyse à Bletchley Park qui fit appel, notamment, à l'un des meilleurs mathématiciens de l'époque : Turing — le même Turing que celui de la « machine de Turing ». Turing inventa une méthode très élaborée qui permettait de casser les chiffres enigma successifs (la méthode était régulièrement améliorée) en moins d'une journée (durée de validité d'un chiffre). Plus tard, il fut également à l'origine d'une machine plus performante encore que les “bombes” cryptanalytiques, le second calculateur programmable moderne, opérationnel en décembre 1943, qui devait pouvoir attaquer le dispositif de cryptage du haut-commandement lui-même : Colossus. [Singh, chap. 4]

Mouvement toujours, le second trait caractéristique de la seconde Guerre mondiale, était de faire intervenir abondamment (c'est peu dire) des projectiles. Qui dit projectiles, dit balistique… si on veut un tant soit peu atteindre sa cible. Or chaque canon, pour chaque type de projectile et éventuellement chaque condition de tir (de vent, par exemple) nécessite une table balistique permettant de régler l'angle du canon en fonction de la distance de la cible. Dès avant la guerre, toutes les armées lourdement artillées avaient donc d'immenses besoins en calculs relativement simples mais très répétitifs. Les calculateurs humains, mêmes munis de machines à calculer restaient lents et surtout, faisaient de nombreuses erreurs dans ces calculs fastidieux. Pour cette raison, l'armée étatsunienne investit abondamment dans les calculateurs électromécaniques, puis électroniques. En 1946, l'ENIAC fut le premier calculateur à calculer une trajectoire plus rapidement qu'un projectile. Il entrait en service trop tard pour contribuer à la guerre mais participa à la conception des armes nucléaires [Breton, pp. 108-109]. À la même époque Zuse, en Allemagne, construisait des calculateurs embarqués pour bombes volantes, permettant une première forme de guidage [Breton, pp. 63 sqq.]. Dans ces deux cas les coûts de recherche et développement étaient considérables — à la mesure d'une commande militaire en temps de guerre.

Bibliographie

[Breton] Philippe Breton. Histoire de l'informatique. La Découverte. 1987.

[Singh] Simon Singh. Histoire des codes secrets. J.-C. Lattès. 1999. Pour des détails sur le Colossus, on pourra consulter l'article spécialisé de Brian Randell.

[Truong] Jean-Michel Truong. Totalement inhumaine. Les empêcheurs de penser en rond. 2001.

[Verroust] Gérard Verroust. Histoire, épistémologie de l'informatique et Révolution technologique. Université de Paris VIII. 2006 (c. 10/4/2008). en ligne : http://hypermedia.univ-paris8.fr/Verroust/cours/TABLEFR.HTM.