2. Premières programmations

La grande aventure des automates mécaniques en Europe commence au 18e siècle. On y invente de très nombreux automates à figure humaine ou animale, simulant telle ou telle action : manger, jouer de la musique, voire parler. Ces automates semblent alors incarner le mythe antique des servantes d'Héphaistos, semblent créer une véritable vie artificielle, au point que certains se laisseront abuser par un remarquable automate Joueur d'échecs… qui n'était en réalité qu'une remarquable marionnette animée par un nain. Ils inspireront au 19e siècle une littérature de fiction qui puisera également dans les légendes plus anciennes de statues animées. Pensons à Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley (1797-1851) ou à L'Ève future de Villiers de L'Isle-Adam (1838-1889). L'horlogerie automatique, inspirera aussi les philosophes, qui assimileront la marche de l'esprit humain (ou de l'Univers) à un mécanisme d'horlogerie complexe.

À l'époque très répétitifs ces automates étaient de magnifiques œuvres d'art, souvent réalisés par de talentueux horlogers. Pourtant, ils mettaient déjà en œuvre une première forme de programmation à l'aide du dispositif appelé « arbre à cames » inventé dans l'Antiquité : en l'occurrence un cylindre (l'arbre) à picots (les cames), comme dans les boîtes à musique mécaniques actuelles. En tournant le cylindre fait apparaître devant des actionneurs fixes des picots. Les picots poussent des leviers qui induisent des actions mécaniques. Ce dispositif ne resta pas seulement un amusement réservé à une élite : il fut très tôt utilisé dans l'industrie, en particulier pour conduire des métiers à tisser automatiques. Cette programmation sera ensuite transférée sur des cartons perforés. Ces métiers, améliorés par Joseph-Marie Jacquard en 1801, mettaient ainsi en œuvre la première programmation binaire (carton / trou). Le principe du métier Jacquard, qui permet de réaliser des motifs de tissage très complexes et surtout d'industrialiser le dispositif, est toujours en usage aujourd'hui et le carton perforé est longtemps resté le moyen de programmer les gros ordinateurs. Il est également toujours utilisé sur les orgues de Barbarie.

Figure 1.2. Métier Jacquard (David Monniaux, Musée des Arts et Métiers, Paris)

Métier Jacquard (David Monniaux, Musée des Arts et Métiers, Paris)

Le métier Jacquard a été inventé avec l'idée de remplacer le travail des enfants dans l'industrie textile. Ce fut une réussite et un échec : réussite parce que les enfants furent effectivement remplacés par des métiers automatiques, échec parce qu'inemployés par le textile, les enfants ouvriers seront réorientés vers d'autres industries, plus dures encore. Industriellement, la situation est, elle aussi, contrastée : les métiers Jacquard connurent une faveur considérable[4], mais cette réussite installa durablement l'idée que la machine automatique avait vocation à priver l'ouvrier de son travail, à remplacer l'Homme. Le métier Jacquard conduira à la révolte des Canuts (les ouvriers textiles) en 1831. D'autres introductions similaires induiront des mouvements anti-machines, parfois très violents. Pourtant la machinisation débutée au 18e siècle et qui se développa au 19e et au début du 20e siècle recourait globalement assez peu à l'automatisation. À cette époque on était, bien entendu, encore très loin de l'existence des ordinateurs.

Peut-être inspiré par cette histoire, paraît en 1920 la pièce de théâtre RUR (Rossum's Universal Robots) du tchèque Karel Čapek (1890-1938), qui met en scène des machines créées par l'Homme, qui finiront par l'anéantir : les robots. C'est la première occurrence de ce mot. La science-fiction, qui n'existait pas encore, puisera là un thème récurrent de son inspiration.



[4] En 1812 il y avait en France 11 000 métiers Jacquard [Breton, p. 46].